Le chaud gel d’une Bohème musicale à Rouen
Dernière production de la saison rouennaise, et dernière production avant la fin du mandat de son Directeur Frédéric Roels (à découvrir ici en interview), qui sera remplacé en septembre par Loïc Lachenal, La Bohème de Puccini emprunte la mise en scène de Laurent Laffargue créée à Bordeaux en 2007. L’ouvrage, transposé à l’aube des événements de mai 68, s’ouvre sur la mansarde du poète Rodolfo (les décors sont conçus par Philippe Casaban et Eric Charbeau), que le metteur en scène imagine « fils de », pas aussi misérable que ne le prévoit le livret. Peu importe : son interprète et ses collègues, vêtus d’épais manteaux et d’écharpes (des costumes d'Hervé Poeydomenge), subissant la chaleur écrasante produite par 1300 spectateurs et des éclairages intenses (signés Patrice Trottier), doivent simuler un froid saisissant. De sacrées performances d’acteurs ! L’acte II se déroule dans un cabaret, La Bohème, dans lequel des téléviseurs noir et blanc diffusent des images du général De Gaulle passant ses troupes en revue avant un défilé. L’acte III se déroule à l’extérieur de ce cabaret.
La Bohème, transposée dans les années 60 (© Jean Pouget)
Anna Patalong ne séduit pas que Rodolfo dans le rôle de Mimi : ménageant une grande caisse de résonance en gonflant légèrement ses joues, elle produit un vibrato rond et vigoureux. Elle dispose d’une voix à la fois profonde et ciselée, aux graves dramatiques et au phrasé soigné. Campant une jeune amante moins timide et innocente qu’à l’accoutumée (tout en préservant sa candeur), elle émet des quintes de toux silencieuses qui laissent peu de place à la vraisemblance. La scène des souvenirs, à la fin de l’opéra, est particulièrement émouvante, par la fragilité jouée, la lumière qu’elle préserve dans son regard à cet instant dramatique, et la tendresse qu’elle partage avec son amant, Rodolfo, qui est chanté par un Alessandro Liberatore (entendu voici un an dans Lucio Silla) malade (bien qu’aucune annonce n’ait été effectuée) : cette donnée explique l’étranglement des aigus et ses quelques déraillements. Toutefois, le public peut apprécier sa voix puissante au vibrato appuyé et ses médiums embrasés. Sa longueur de souffle lui offre une tenue de note héroïque en fin de premier acte.
Anna Patalong et Alessandro Liberatore sont les amants démunis de La Bohème (© Jean Pouget)
Il partage avec le Marcello de William Berger un jeu théâtral de qualité. Ce dernier s’impose dans les ensembles de sa voix chaude, puissante et intense, au vibrato rapide. Olivia Doray campe une Musetta exubérante (elle se lance dans une danse langoureuse, debout sur le bar), mais qui retrouve une simplicité dans le jeu la rendant émouvante dans le dernier acte. Ses aigus sont tranchants et bien projetés, mais elle manque de volume dans le médium. Ces quatre interprètes offrent un acte III touchant de sincérité.
Olivia Doray dans le rôle de Musetta (© Jean Pouget)
Dans la Bohème
Les amis désargentés de La Bohèeme (© Jean Pouget)
Leo Hussain (que nous avions interviewé pour vous la saison dernière), le Directeur musical de l’Opéra de Rouen, dirige la phalange de l’institution avec brio, exprimant à merveille la compassion dont Puccini imbibe sa musique à l’endroit de la jeune bande d’amis. Les attaques sont puissantes, puis la subtilité de la partition, et en particulier celle de la flûte, est rendue par des musiciens qui offrent un final déchirant. Le Chœur de l’Opéra, renforcé par le Chœur accentus, est en place, puissant, bien secondé par les vivifiants enfants de la Maîtrise du Conservatoire de Rouen. Rendez-vous est pris fin septembre pour une Norma prometteuse.
Anna Patalong, Alessandro Liberatore et Olivia Doray (© Jean Pouget)