Lucia di Lammermoor : les voix d'abord
Reprise par Stéphane Roche, la production de l'ancien directeur de la maison n'hésite pas, avec la complicité d'Ezio Frigerio aux décors, à replacer Lucia di Lammermoor dans l'Écosse du seizième siècle revue par l'imaginaire romantique de Walter Scott et Salvatore Cammarano, le librettiste. La toile de fond du premier acte évoque sans doute un château de Ravenswood perché dans les brumes britanniques, tandis que les lumières de Vinicio Cheli habillent ingénieusement le goût des arcades gothiques de chaudes mais trompeuses teintes mordorées à l'heure du mariage. En synchronie avec la scénographie, les costumes dessinés par Franca Squarciapino ne cherchent pas à trahir la restitution historique. Par ailleurs, si la direction d'acteurs ne transgresse guère le texte, la maîtrise de la monumentalité des foules est appréciée : puissance oppressante de la légitimité sociale avant de devenir caisse de résonance de la déploration du malheur de Lucia, à la façon d'un chœur antique. À défaut de renouvellement iconoclaste, on saluera l'évidence du métier.
Lucia di Lammermoor au Théâtre du Capitole de Toulouse (© Patrice Nin)
C'est d'ailleurs par ce savoir-faire que les vertus du plateau vocal sont mises en avant. Dans le rôle-titre, Nadine Koutcher ne fait aucunement l'économie du belcanto. Après une entrée de bonne tenue et un basculement dans la démence manquant peut-être de relief, c'est dans la scène de la folie que la soprano biélorusse livre toute la subtilité de son jeu et de sa musicalité. Ciselant des aigus aériens et délicats, l'élégante souplesse de la ligne vocale souligne la fragilité éthérée d'une amoureuse qui a basculé hors de la raison du monde, jusqu'au trépas.
Nadine Koutcher dans Lucia di Lammermoor (© Patrice Nin)
En Edgardo, Sergey Romanovsky témoigne d'un égal pari de la jeunesse. D'une luminosité avenante, le timbre du Russe ne sacrifie pas aux excès du ténor léger et compense des effets stylistiques parfois discutables par une communicative tendresse dans l'émission. La palette slave des gosiers s'étoffe avec le large et solide Enrico de Vitaliy Bilyy, que d'aucuns pourraient juger aux confins du monolithe, et se confirme par le Raimundo de Maxim Kuzmin-Karavaev, plus paternellement enveloppant que noble. Florin Guzgă assume un Arturo vindicatif au diapason de ses complices. Seules concessions au tropisme de la distribution, Marion Lebègue apparaît en Alisa de bonne tenue, quand Luca Lombardo s'acquitte sans faiblesse de l'intervention de Normanno.
Nadine Koutcher et Marion Lebègue dans Lucia di Lammermoor (© Patrice Nin)
Préparé par Alfonso Caiani, le Chœur du Capitole remplit avec constance son office. Enfin, habitué du répertoire italien, Maurizio Benini met en lumière avec une sensibilité entière des pupitres de l'Orchestre national du Capitole, dont il excite la vitalité, quitte à un peu trop favoriser ça et là le dynamisme sonore de la partition de Donizetti.
Nadine Koutcher et Maxim Kuzmin-Karavaev dans Lucia di Lammermoor (© Patrice Nin)