La quête de beauté d’Alexandre Duhamel éveille l’Éléphant Paname
Pour ce dernier Instant lyrique de la saison à l’Éléphant Paname, Alexandre Duhamel, accompagné au piano par Antoine Palloc, livre une épopée musicale, depuis le Lied jusqu’à la variété en passant par la mélodie et l’opéra. Ce voyage porte l’auditeur de l’Autriche de Schubert à l’Amérique de Rodgers et Hammerstein, en passant par l’Angleterre de Ralph Vaughan Williams, l’Espagne de Don Quichotte ou d’Agustín Lara, l’Égypte de Massenet (dans Thais) ou encore la Belgique de Jacques Brel. Il suit les pas du Voyage d’hiver de Schubert ou du Vagabond de Vaughan Williams. La prononciation du baryton, parfaite en français (notamment grâce à ses voyelles attentivement fermées) et très bonne en allemand, est moins assurée en anglais ou en espagnol, mais là n’est pas l’essentiel.
Alexandre Duhamel (© DR)
Le récital débute par An die Musik de Schubert, véritable hymne à la musique, dans lequel Duhamel dévoile déjà ses graves vibrants et ses aigus lumineux. Il impose d’emblée une interprétation nuancée. La petite taille de la salle, qui place les spectateurs les plus éloignés à quelques mètres seulement de l’artiste, lui permet parfois de murmurer son chant, lui conférant une délicatesse qu’il brise aussitôt de forte puissants. Il enchaîne par un extrait du Winterreise du même compositeur, trésor de poésie, dans lequel il porte la mélancolie de l’amant errant. Antoine Palloc accompagne d’un touché fin et élégant la langueur du poète qu’incarne Duhamel, la mine grave. Dans Gruppe aus dem Tartarus, le baryton fixe les spectateurs de ses yeux exorbités, chuintant les « s » et claquant les « t ». Enfin, il conclut le cycle Schubert par Litanei auf das Fest Allerseelen, dans lequel il adoucit sa voix pour le repos de toutes les âmes, transportant le public d'un émouvant pianissimo vibré.
Vient alors un cycle centré sur l’œuvre du compositeur londonien Ralph Vaughan Williams, qui fait appel au folklore anglais, comme le chant qu’on déploie pour motiver la marche du Vagabond et dans lequel s’enchaînent les passages mezza-voce et fortissimo. Dans Let beauty awake (Que s’éveille la beauté), un ruisseau remuant semble s’échapper des doigts du pianiste tandis que la poésie du texte est admirablement rendue par le chanteur. The Roadside Fire est un sommet de finesse. Antoine Palloc garde d’ailleurs les yeux rivés sur le baryton, afin de suivre chacune de ses accentuations, chacun de ses allègements. Dans ces derniers cas, il lève les épaules afin de mieux amortir la percussion des marteaux du piano sur les cordes étouffées. Youth and Love enfin, offre au public l’une de ces notes tenues en voix de tête vibrées avec sérénité et régularité, dont Duhamel a le secret.
Elephant Paname - Dome (© Emmanuel Donny)
C’était l’Air du jour choisi récemment par Jean-Stéphane Bron au moment de la sortie de son film, L’Opéra : les Chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert. Si le chanteur, peut-être déconcentré, adopte au début une teinte mate et un phrasé étriqué, il retrouve rapidement sa voix profonde. Les yeux fermés, des sanglots dans la voix qu’il charge d’air, il déploie une large palette d’émotion, finissant par le « ah ! » tenu dans les aigus à mi-voix : un râle de mourant déchirant qui lui vaut un tonnerre d’applaudissements. D’Ibert à Massenet, il n’y a qu’un pas que le duo franchit pour explorer une autre version de l’histoire de Don Quichotte. L’interlude perd de sa splendeur dans son arrangement pour piano malgré toute la musicalité convoquée par Antoine Palloc, qui met une foule d’intentions dans chaque note. Mais vient ensuite l’air de Sancho, Riez du pauvre idéologue, dans lequel Duhamel montre la force expressive de son interprétation et s’octroyant les bravi du public. La conclusion vient d’un autre opéra de Massenet, Thaïs, dans lequel Athanaël maudit la cité d’Alexandrie. Chaque mot y trouve son sens dans le chant : si le « Je te hais ! » saisit le public, le dernier « Venez » laisse le chanteur lui-même bouché bée. Trois bis sont offerts par le duo d’artistes, puisés dans le répertoire de la variété : La Quête de Jacques Brel, Granada d’Agustín Lara puis Some enchanted evening de Rodgers et Hammerstein. Le public est ravi.