La mélancolie baroque de Dowland sous les archets de Sit Fast
Pour présenter son album Seven Teares Upon Silence, le Consort de Violes « Sit Fast » a donné un concert en l’Église des Billettes à Paris. Ce monument assez peu connu, au cœur du Marais, fait partie de l'Église Protestante. En adéquation avec les us de cette religion, l'édifice bénéficie d'une décoration très sobre et possède même une esthétique singulière. En effet, deux balcons se trouvent de part et d'autre de l'orgue, octroyant à l'ensemble une allure de salle de théâtre, voire d'arène romaine.
Le Consort de Violes "Sit Fast" et Sarah Breton (© Jérôme Prébois)
Le public s'installe sur les bancs tandis que les musiciens accordent leurs instruments d'époque en coulisse. Le concert s'ouvre sur trois œuvres de William Byrd, organiste et compositeur pour Élisabeth I : la première est un In Nomine instrumental, ce qui permet à l'auditoire de faire plus ample connaissance avec les sonorités de ces instruments qu'il est rare d'entendre de nos jours, ainsi réunis en consort. Les musiciens, au nombre de cinq, sont rejoints par Sarah Breton pour deux Consort Songs : Ye Sacred Muses et Rejoice unto the Lord. La mezzo-soprano interprète ces deux chansons sacrées d'une voix aérienne. Ses attaques sont douces, et ses pianissimi à peine audibles derrière la musique. Elle utilise sa voix de poitrine dans les graves, et produit quelques crescendi subtils. Que ce soit l'ensemble ou la chanteuse, ce concert s'annonce tout en retenue.
Les cinq violistes de "Sit Fast" (© DR)
S'ensuit Lachrimae or Seaven Teares, pièce phare de Dowland. Il s'agit d'un groupe de sept pavanes (danses baroques lentes) qui reprennent le thème de Flow My Tears, le déclinant à chaque fois. Le rythme lent et la mélodie empreinte de mélancolie plongent le public dans une écoute méditative, encouragée par le caractère sacré du lieu. La musique de Dowland compte de nombreuses similitudes avec celle de Purcell et de Marin Marais, deux grands maîtres du baroque.
Les musiciens se réaccordent (un inconvénient de ce type d'instruments), tandis que Sarah Breton reparaît derrière son pupitre. Ils interprètent alors une pièce contemporaine de George Benjamin : Upon Silence, composée en 1990. Dès les premières mesures, une certaine agitation est palpable dans l'auditoire : après les mélodies baroques entendues, l'atonalité de cette œuvre semble surprendre le public. Comme pour les chansons de Byrd, la mezzo-soprano fait claquer les consonnes mais ouvre à peine la bouche sur certaines voyelles. Dans une retenue presque excessive, la chanteuse alterne les pianissimi et les quelques vocalises de l’œuvre sans éclat. Certains passages descendent dans les graves, ce qui la force à avoir recours à une voix de poitrine appuyée. La partition contient de très grands intervalles et quelques gammes teintées d'orient. Les violes alternent les techniques de jeu, tantôt en pizzicati, tantôt en tremolo, créant une atmosphère bourdonnante et électrique. L’œuvre en elle-même est un long crescendo. Les dernières mesures contiennent de nombreux silences, jusqu'à ce que finalement, la chanteuse laisse résonner l'ultime mot : « Silence ».
Les musiciens de "Sit Fast" et Sarah Breton, sur la pochette de leur nouvel album (© Jérôme Prébois)
Si l’œuvre surprend, l'écoute en est également malaisée : l'acoustique du lieu ne jouant pas au mieux son rôle, le son manque d'ampleur et de résonance. Dès les premières notes, les spectateurs les plus éloignés de la scène sont obligés de tendre l'oreille, surtout lorsque les musiciens sont accompagnés par la chanteuse. Sa retenue excessive laisse au public l'impression d'avoir assisté à une performance en demi-teinte. La version CD permettra certainement de mieux profiter des talents de la mezzo-soprano. Malgré tout, l'auditoire applaudit avec enthousiasme et l'ensemble revient avec pour bis A Silver Swan d'Orlando Gibbons. Les quelques trilles légers et les S sifflants de la chanteuse closent une soirée baroque contemplative.
Découvrez Lachrimae Antiquae, la première pavane des Lachrimae or Seaven Teares de Dowland.