Dévotion baroque à l’Oratoire du Louvre
La thématique choisie permet de réunir compositeurs catholiques et protestants, ce qui prend un sens particulier en ce temple de l’Oratoire, église consacrée au culte réformé sous le Premier Empire. Premier violon, Jasmine Eudeline fait entendre L’Annonciation, première des Sonates du Rosaire de Biber. Sur une harmonie statique, la faconde fantastique du violon est réverbérée par l’acoustique du temple : le premier mouvement de la sonate, illustrant la venue de Gabriel et l’Immaculée Conception, est une illustration magistrale du stylus phantasticus. À cette frénésie succède l’aria et ses variations, dont la basse obstinée est énoncée en toute simplicité sur l’orgue positif. La musique de Biber peint les mouvements de l’âme avec d’infinies délicatesses, sans qu’il soit besoin d’une quelconque liturgie.
Nef du Temple de l'Oratoire du Louvre
Vient alors le Salve Regina en do mineur de Pergolèse, œuvre qui donne son titre au programme. Cette pièce n’est pas sans rappeler le fameux Stabat Mater du même Pergolèse, avec lequel il partage la sombre tonalité mineure et le mouvement grave introductif à la manière de Corelli : les dissonances des parties supérieures viennent frotter contre une basse de croches inexorables. Claire Lefilliâtre développe une conduite splendide des chromatismes sur in hac lacrimarum valle (dans cette vallée de larmes), elle enfle les tenues avec une grande maîtrise pour les projeter dans la nef. Les musiciens semblent s’en inspirer, et ils conduisent tout aussi finement leurs archets. La voix se perd malheureusement sur le mouvement rapide, parmi les cordes furieuses et la réverbération du temple.
Pergolèse
Dans cette alternance de pièces vocales et instrumentales, la pastorale de Schmelzer en sol majeur évoque un autre épisode sacré : Noël ! C’est le cas également du concerto grosso de Corelli, destiné à la nuit de la Nativité. Dans les deux œuvres, un ton pastoral est donné par le rythme de sicilienne et les bourdons de l’harmonie. Le troisième mouvement du concerto grosso nous emporte vers un mi bémol majeur consolateur, aux phrases amples, rythmées par les pizzicati des instruments de ripieno (dans le genre du concerto grosso, les instruments de ripieno s’opposent au groupe des solistes).
Gravure de l'Annonciation sur la partition des Sonates du Rosaire
La cantate (ou concerto) de Buxtehude O dulcis Jesu est certainement le plus beau moment du programme. La tendresse de l’incipit se déploie, comme psalmodiée, sur une harmonie du continuo. Les ornements choisis de Claire Lefilliâtre touchent toujours au plus juste : par de légers battements, elle souligne l’adjectif dulcis. La variété des mouvements dans cette écriture au fil du texte maintient en éveil l’attention de l’auditoire, contrairement à l’aria sans fin de Händel. La cantate s’achève avec les mots « Ah, suscipe me » (soutiens-moi), prière pleine d’espoir lancée avec de l’air et des tremblements dans la voix, tandis que le souffle de l’orgue défaille à son tour. Les deux violons font écho à la voix, et l’articulation du discours par les archets devient limpide : l’écriture vocale est alors encore le modèle de la musique instrumentale.
Georg Friedrich Haendel (Händel)
Le programme s’achève avec un motet de Vivaldi, Nulla in mundo pax sincera (Nulle paix sincère en ce monde). Si le texte est étrange, la musique en est parfaitement convenue. S'y retrouvent les marches harmoniques favorites du compositeur vénitien, et un long aria da capo. Stéphane Fuget parvient à donner vie au récitatif, mettant en œuvre toutes les ressources d’un art qui n’a plus de secret pour ses doigts experts. L’écriture vocale convient par ailleurs à merveille à la voix de Claire Lefilliâtre dont l'auditoire savoure les aigus riches, délivrés à pleine puissance sans que la justesse n’en soit jamais compromise. L’Alleluia final est un moment de bravoure où les vocalises virtuoses de la soprane sont laissées au seul accompagnement des violons et de l’alto. Elle se garde bien de toute démonstration inutile – sauf pour en jouer avec humour lorsque les spectateurs, ravis de ce concert de haute tenue, demandent un bis.
Antonio Vivaldi