Cyrille Dubois : « J’espère que ce Cosi fan tutte à Garnier sera un tremplin »
Cyrille Dubois, vous êtes actuellement en répétition pour Cosi fan tutte de Mozart à l’Opéra Garnier, dans une nouvelle mise en scène d’Anne Teresa de Keersmarker : pouvez-vous nous la décrire ?
Nous débutons les filages, ce qui nous permet maintenant d’avoir une vision de l’œuvre dans son intégralité. Nous prenons possession de la scène de Garnier demain [le travail s’effectuait auparavant dans la salle de répétition de Bastille, ndlr]. Le décor est nu, avec des marquages au sol. Des éléments de plexiglas encadrent le propos afin que les voix soient reprojetées dans la salle. Il s’agit d’une mise en scène très abstraite, très éloignée des mises en scène traditionnelles : les spectateurs qui s’attendraient à voir une production proche de celle de Strehler risqueraient d’être déconcertés. Nous nous appuyons sur le livret tel qu’il a été écrit par da Ponte et Mozart, mais les interactions entre les personnages restent limitées. La volonté est de faire comprendre le message par la spatialisation et la géométrie plutôt que par des procédés théâtraux. Certaines adresses sont gommées, et les personnages sont ou ne sont pas sur scène indépendamment des indications du livret. Toutefois, comme dans n’importe quel opéra, il est possible d’apprécier une œuvre sans en connaître l’argument [disponible ici, ndlr], simplement en se laissant porter par la musique, les surtitres et la vision du metteur en scène.
L’une des originalités de la mise en scène est de coupler dans chaque rôle un soliste lyrique à un danseur. Comment se passe votre travail avec les danseurs ?
Nous sommes avec eux depuis le début du processus artistique, il y a plus d’un an. En effet, Anne Terera de Keersmaeker a souhaité débuter ce travail très en amont : les trois mois de répétition que nous avons eus [les répétitions ont commencé le 14 novembre, ndlr] lui semblaient trop courts par rapport à ce dont elle a l’habitude, d’autant que l’œuvre est très longue. Nous avons donc eu des séances de travail dans le courant de l’année passée. C’était aussi pour elle l’occasion d’évaluer les contraintes chorégraphiques qui pouvaient nous être imposées, sachant que nous n’avons aucune formation de danseurs. J’aime le ballet : j’en ai vu beaucoup lorsque j’étais à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Pour autant, je ne me sens pas connaisseur en danse, et encore moins en danse contemporaine. À certains moments, le danseur fait le fantôme de ce qu’exprime le chanteur. À d’autres instants, c’est l’inverse.
Ce travail chorégraphique a-t-il un impact sur votre manière de chanter ?
Forcément. Philippe Jordan était d’ailleurs heureux de constater que la réduction théâtrale exacerbe l’acuité et la précision du travail musical et vocal. Anne Teresa de Keersmaeker nous a d’ailleurs demandé, pour plusieurs passages, de penser notre chant comme s’il s’agissait d’une version concert. Nous pouvons dès lors être très concentrés sur la projection vocale. À d’autres moments, nous cherchons à proposer des images. Les flux de mouvements sont très importants pour Anne Teresa de Keersmaeker. Elle a une vision très nette de l’œuvre de Mozart : nous avons d’ailleurs essayé de lui proposer des intentions théâtrales, mais elle les refusait très fréquemment pour ne pas entrer dans la concrétisation. Certains passages sont construits comme un corps de ballet rassemblant chanteurs et danseurs : ces chorégraphies me font penser à l’équilibre et à l’harmonie des mouvements de groupes d’oiseaux ou de poissons. Bien sûr, ce que nous proposons n’a rien à voir avec l’exigence et la grande qualité des corps de ballet, et notamment celui de l’Opéra de Paris : nous faisons notre possible ! Pour d’autres passages, nous ne sommes qu’en binôme (les couples chanteur-danseur ne sont en effet jamais séparés). Nous essayons alors d’exprimer scéniquement ou par la posture la vision qu'a Anne Teresa de Keersmaeker de l’émotion du personnage, en se répondant l’un l’autre.
La direction musicale de la production est assurée par Philippe Jordan : comment se déroule le travail avec lui ?
Même si son emploi du temps est très chargé, ce qui lui a peu permis d’assister aux répétitions, nous avons eu des séances de travail musical avec lui. Le travail musical commencera réellement la semaine prochaine, avec les italiennes [filage de l’ensemble de l’œuvre, sans travail scénique, ndlr] avec orchestre. Travailler avec lui est un vrai bonheur : il est d’une précision chirurgicale. Il apporte des idées très précises de ce qu’il souhaiterait entendre, tout en restant ouvert à un vrai dialogue. Nous avons creusé la partition pour trouver les inflexions ou les nuances qui font le travail musical. Les deux distributions sont d’une homogénéité assez rare dans les productions d’opéra : les voix se marient parfaitement. Ayant eu beaucoup de temps pour travailler, nous avons appris à nous connaître et développer des affinités qui se traduisent musicalement.
Cyrille Dubois (© DR)
Le fait d’être dirigé par Philippe Jordan, le Directeur musical de l’Opéra de Paris, crée-t-il une pression supplémentaire ?
Bien sûr. On sait que si la collaboration se passe bien, cela peut amener d’autres projets. En soi, ce point est vrai quel que soit le chef, mais l’importance de l’Opéra de Paris fait sans doute que l’enjeu est encore plus grand. Après, on apprend à oublier cette pression : les répétitions sont aussi là pour ça.
Vous partagez les dates avec Frédéric Antoun : votre travail est-il cloisonné ou collaborez-vous pour homogénéiser vos interprétations ?
Nous avons travaillé constamment ensemble : la mise en scène sera exactement identique et nous avons tout construit ensemble, même si chacun apporte de petites nuances en fonction de ce qu’il est. Nous avons ainsi eu un dialogue à trois avec Anne Teresa de Keersmaeker pour trouver les positions que nous pouvions tenir tout en chantant : c’est en effet une contrainte qu’il a fallu qu’elle prenne en compte. Ça a été un processus de rencontre d’un monde vers l’autre : elle s’attendait à ce que certaines choses soient possibles et ce n’était pas toujours le cas. De notre côté, il est important que nous puissions répondre à l’attente musicale car nous seront jugés là-dessus à titre individuel, étant donné que nous pourrons peu faire valoir notre expression théâtrale, sur laquelle nous appliquons les règles et avons peu d’espace de liberté. Bien sûr, cela n’empêchera pas que le spectacle dans son ensemble soit aussi jugé en tant que tel.
Vous aviez pris ce rôle en octobre à Rouen (lire notre compte-rendu ici). La mise en scène était déjà assez originale. Qu’en retenez-vous ?
Il s’agissait en effet de ma prise de rôle scénique, mais je l’avais déjà chanté en version concert auparavant, ce qui m’avait d’ailleurs bien aidé. Frédéric Roels avait sa vision de l’œuvre, mais nous étions très libres d’apporter des choses d’un point de vue théâtral : nous avions vraiment construit les personnages en fonction de nos personnalités. J’adore cette œuvre : je trouve un très grand confort dans l’écriture musicale de Mozart, et en particulier dans le personnage de Ferrando. Le rôle est plus aigu que les autres partitions qu'il a composées pour des ténors, comme celui de la Flûte enchantée, ce qui me donne plus de facilités en terme de projection vocale. Il y a mille façon d’envisager cette œuvre, c’est donc très intéressant de la reprendre dans différentes productions.
Cyrille Dubois dans Cosi Fan Tutte par Frédéric Roels (© JPouget)
Avant Rouen, il y avait déjà eu une mise en scène reposant sur un concept très fort à Aix-en-Provence : est-ce une œuvre qui requiert aujourd’hui une relecture pour être intéressante ?
Il est toujours intéressant de remettre en question la vision d’une œuvre pour tenir compte de l’actualité. Ainsi, il y a eu également des visions très fortes de l’Enlèvement au Sérail, que ce soit à Aix-en-Provence ou à Lyon, qui ont été montées bien avant les actualités funestes que nous connaissons, mais qui y faisaient écho. L’actualité apporte alors un nouveau regard sur l’œuvre. Mais je ne suis pas absolument certain qu’il soit nécessaire de relire le propos de l’œuvre. Le public attend aussi parfois des choses plus simples. Je me laisse bercer sans problème dans une mise en scène qui se veut provocatrice ou novatrice, dès lors que la raison en est valable. En revanche, ça ne m’intéresse pas de faire du nouveau pour faire du nouveau.
À Rouen, vous avez décidé de chanter souffrant lors de l’une des représentations : vous est-il déjà arrivé de regretter ce type de décision ?
C’est toujours difficile quand on a de l’affection pour une maison et pour une équipe de les laisser tomber. J’estime qu’il est plus honnête de prévenir le public et d’essayer de faire de mon mieux, plutôt que d’annuler complètement, ce qui met la production en difficulté. Certains diraient que ce n’est pas mon problème, mais je ne raisonne pas ainsi. Pour une représentation d’Ariane à Naxos à Bastille, j’avais la grippe et 40 de fièvre : dans ce cas, la question ne se pose pas, je ne pouvais pas faire deux pas ! Quand c’est en voie de guérison, qu’on est en fin de série de représentation, cela joue : si on tombe malade pour le premier spectacle et qu’il y en a huit autres derrière, il vaut mieux annuler la première pour avoir l’espoir de faire les suivantes. Cela m’est déjà arrivé de regretter mes décisions lorsque j’étais en début de carrière et que j’ai accepté de chanter alors que le résultat n’était pas bon. Heureusement, ça n’était pas très exposé, donc les conséquences ont été limitées. Mais maintenant que je chante dans des maisons plus importantes et où les attentes sont plus élevées, la pression est plus forte. Nous restons des êtres humains, avec nos limites : le public doit accepter que nous ne soyons pas toujours au meilleur de notre forme, alors que nous sommes aujourd’hui souvent jugés sur une seule écoute. De même, lorsque Jonas Kaufmann a dû annuler des représentations, il en est le premier désolé : j’ai trouvé cruel que certains le fassent passer pour un capricieux.
Fally, Palchykov, Gnatiuk et Dubois dans Ariane à Naxos (© Bernard Coutant)
Vous chanterez en mars dans Trompe-la-mort au Palais Garnier. Il s’agit d’une création de Luca Francesconi : pouvez-vous nous en dire un mot ?
Nous avons reçu la partition assez tard, mi-décembre : je suis au milieu du processus d’appropriation de l’œuvre. Les répétitions commenceront le 2 février. Je suis assez enthousiaste sur ce que je découvre de la partition. Le travail n’est pas facile car la musique contemporaine engendre des difficultés d’intonation. Le rythme en revanche est assez simple. Pour le public, il s’agit d’un langage musical qui demande à être apprivoisé, mais on y rentre progressivement. Je lis en parallèle le roman de Balzac Splendeur et misère des courtisanes, sur lequel se base assez fidèlement le livret. L’intrigue est très bien ficelée dans l’opéra. Lucien, le personnage que j’interprète, est le jeune premier qui tombe amoureux d’une courtisane, Esther [interprétée par Julie Fuchs, ndlr]. Il s’agit d’un personnage de dandy et de poète, ce qui se traduit par des harmonies très rêveuses, presque désincarnées. L’amour fou qui lie ces deux jeunes gens fonctionne très bien avec de beaux duos, de la fougue parfaitement transcrite musicalement, dans de belles lignes vocales. Ils sont tous les deux manipulés par Vautrin, c’est-à-dire Trompe-la-mort. Ce que je trouve génial, c’est qu’une partie de l’intrigue se passe dans les foyers du Palais Garnier où l’œuvre sera jouée, ainsi que dans les rues alentour, qui existent ou ont existé.
Est-ce facile d’accepter de participer à un tel projet, sans savoir ce que sera la partition ?
Cela fait très peur. Mais le compositeur, même si on ne s’est pas rencontrés, a entendu les artistes. Il a donc une idée assez précise des particularités vocales de chacun lorsqu’il écrit sa partition. On peut donc lui faire confiance, et faire confiance également à la structure qui nous engage, qui nous connait et qui sait également ce qu’elle attend de l’œuvre. Et puis nous connaissons souvent l’inconnue d’une nouvelle mise en scène dont on ne sait pas à l’avance si elle va nous plaire. Ceci dit, la réflexion pour un tel projet n’est pas longue : un rôle de premier plan à l'Opéra de Paris, quand on est un jeune chanteur français, c’est incontournable car il faut se faire entendre. Quand on est capable d’aborder cette musique –ce qui n’est pas le cas de tout le monde du fait de la difficulté du solfège, qui demande d’être assez armé– et qu’on en a l’opportunité, ça ne se refuse pas !
Nous venons d’apprendre que Laurent Naouri interprètera le rôle-titre à la place de Thomas Johannes Mayer et sera lui-même remplacé par Christian Helmer (lire notre article) : la distribution est maintenant quasiment uniquement francophone. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D’abord, je suis ravi que le remplaçant soit Laurent Naouri car je trouve que le rôle lui va parfaitement. Ensuite, sans doute que l’école française se porte mieux que ce que l’on en dit : il y a une jeune génération de chanteurs français qui est sortie et qui sort encore, et qui équivaut à ce qui se fait ailleurs. Sans doute que les mentalités changent et que l’on se rend compte qu’on a des artistes qui valent la chandelle. La liste est longue des chanteurs français qui sont sollicités à l’étranger. C’est bien de la part de la direction de l’Opéra de Paris de faire confiance aux chanteurs français. Beaucoup d’entre nous sommes passés par l’Atelier lyrique de la maison : cela fait partie du jeu qu’ils nous accompagnent dans nos premiers pas sur de grandes scènes.
La distribution comprend de nombreux noms bien connus du public (retrouvez ici la distribution détaillée), jusque dans les seconds rôles : est-ce plus confortable pour vous en comparaison des productions où la communication s’appuie principalement sur votre nom ?
C’est vrai que la distribution est sensationnelle. J’ai vraiment hâte d’entendre le trio des espions [interprété par François Piolino, Rodolphe Briand et Laurent Alvaro, ndlr] qui va être fabuleux. Il y a encore peu d’endroits où la communication repose essentiellement sur mon nom. Mais il est vrai que cela me fait plaisir lorsqu’un producteur s’appuie sur ma petite notoriété pour promouvoir un spectacle. Ceci étant, lorsque l’on crée une œuvre contemporaine ou que l’on ressort une œuvre inconnue, comme le Roi Arthus il y a deux ans, il me semble indispensable d’y associer des « têtes d’affiches » pour attirer le public : il faut donner une chance à ce répertoire, et nul n’est mieux placé pour le faire que les chanteurs dont la réputation est déjà installée.
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Vous retrouverez Julie Fuchs au TCE pour les Pêcheurs de perles, aux côtés de Florian Sempey (lire son interview à Ôlyrix) et Luc Bertin-Hugault. Ce sera votre prise de rôle. Prévoyez-vous déjà de reprendre le rôle dans une version scénique ?
Je n’ai pas encore programmé de le rechanter en version scénique : ça a failli se faire mais des contraintes de calendrier ne l’ont pas permis. J’aime beaucoup travailler le répertoire de l’opéra-comique français. D’abord, c’est ma langue et il me semble qu’on est mieux armé en tant que chanteurs français pour défendre ce répertoire que n’importe qui d’autre. J’aime aussi défendre cette esthétique française, même si j’aime aussi chanter d’autres répertoires.
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Vous chantez en français, italien, allemand et anglais : votre travail est-il différent selon les répertoires ?
J’ai une très grande exigence à ce sujet. En tant que spectateur, rien ne m’énerve plus qu’un chanteur qu’on ne comprend pas : si le spectateur est toujours branché sur les sous-titres, cela le prive de ce qu’on lui propose scéniquement. Or, aujourd’hui, les chanteurs expriment des choses théâtralement, ce qui était moins le cas autrefois. Je ne crois pas être une grande voix, mais je réfléchis beaucoup à ce que je fais afin d’être le plus investi possible : j’essaie d’apporter une dimension supplémentaire d’un point de vue musical, quitte à m’éloigner de temps en temps du bel canto : la dramaturgie veut parfois par exemple qu’une phrase soit criée. Quand on donne une place importante au théâtre, la langue est primordiale ! J’essaie d’aller dans les pays concernés pour mieux parler les langues que je chante. Aujourd’hui, je parle bien l’anglais et l’italien dans la vie courante. L’allemand me donne plus de difficulté car je n’ai jamais eu la chance de travailler dans des pays germanophones à ce jour. Je n’ai donc pas encore tous les automatismes, mais je l’ai étudié à l’école et je travaille beaucoup avec des coachs de langue, qui sont indispensables : ils sont toujours derrière nous, ce qui fait partie de notre travail. Surtout si on chante dans le pays concerné.
Vous avez participé à la longue tournée des Caprices de Marianne d'Henri Sauguet : quel souvenir en gardez-vous ?
J’ai beaucoup aimé cette œuvre. Elle est à mi-chemin entre la mélodie et l’opéra : on y trouve tout ce qu’il y a de plus français. C’est une pièce qui a été ressortie des cartons, qui avait été très peu jouée depuis sa création. J’aime défendre une œuvre qui a n’a pas accroché le public lors de sa création et qui a besoin d’une seconde chance. Le travail avec Oriol Tomas a été très agréable. Il proposait une mise en scène assez épurée et poétique, qui laissait beaucoup de place à la psychologie des personnages. Le fait que cette production ait été jouée dans de nombreuses salles était chouette car l’œuvre a fait son chemin pendant deux ans. Chaque fois que j’y revenais, je trouvais de nouveaux ressorts pour habiter le personnage, ce qui était passionnant. À chaque reprise, le metteur en scène nous demandait d’essayer de réinventer notre jeu. On a de la chance en français de dire que l’on joue lorsque l’on réalise un travail scénique : on ne retrouve pas cette double signification dans les autres langues. Il faut donc s’amuser et inventer pour créer de nouvelles intentions. J’étais nostalgique quand j’ai quitté cette production, même si je l’ai chantée vingt fois et que j’étais aussi content de passer à autre chose car ce n’est pas une œuvre très exigeante d’un point de vue vocal. Nous avions en tout cas beaucoup de plaisir à nous retrouver entre collègues.
Les Caprices de Marianne (© Alain Julien)
Les Victoires de la musique classique vont avoir lieu dans quelques jours : quelle a été l’importance dans votre carrière de votre prix aux Victoires de 2015 ?
Ça a tout changé, et ça n’a rien changé. Bien sûr, le fait de passer sur France Télévisions à une heure de grande écoute change beaucoup de choses en termes de notoriété. J’ai depuis plus de sollicitations médiatiques, les gens s’intéressent plus –et j’en suis très content !– aux concerts que je fais. Il y a d’ailleurs plus d’attente aussi. Pour autant, ma carrière suit une courbe relativement linéaire, depuis mon entrée à la Maîtrise de Caen jusqu’à aujourd’hui : je n’ai pas grillé d’étapes et si ce prix vient récompenser le travail qui a été fait avant, il n’a pas provoqué pour autant un bouleversement. Les personnes qui devaient me connaître me connaissaient déjà. Ça n’a donc pas rempli mon emploi du temps du jour au lendemain. Je l’ai vécu comme un passage d’étudiant à vrai professionnel.
Quels sont vos prochains objectifs ?
Mon objectif reste d’être associé à de beaux projets. Pouvoir choisir ses projets est un luxe et j’espère que je pourrais continuer à le faire, notamment pour prendre en compte le développement de mon instrument : cela sera très important dans la dizaine d’années qui va venir. Vais-je garder la légèreté de ma voix ? Je me suis toujours attaché à rechercher des couleurs pour construire ma propre personnalité artistique. Je veux aussi préserver ma vie personnelle car on ne peut pas être un artiste complet si on n’est pas aussi une personne équilibrée. J’espère enfin découvrir de nouvelles maisons, notamment à l’international, tout en gardant un pied en France, car je suis très attaché à ma langue, à mon histoire, à mon pays et à mon public. J’essaie de garder cette fidélité : dès que j’ai l’occasion de chanter en Normandie, je le fais.
Comment orientez-vous vos choix pour développer votre carrière à l’international ?
J’essaie d’abord de construire quelque chose de solide en France, mais il est vrai que j’aimerais avoir ma chance à l’international. Pour travailler à l’étranger, il faut faire ses preuves. En cela, ce Cosi fan tutte est peut-être un tournant dans ma carrière car si je fais deux représentations cette saison, je ferai les quatorze de la reprise de septembre, qui constituera l’ouverture de saison de la maison. Il y aura des oreilles venant de maisons internationales : j’espère que ce sera un tremplin pour la suite. Certaines maisons m’attirent : Covent Garden, car l’Angleterre est presque ma seconde patrie, et certaines maisons allemandes car je crois que ma voix pourrait plaire là-bas. Ensuite, les maisons qui font rêver sont le Metropolitan ou Sydney, sachant que j’ai déjà chanté à la Scala. J’aimerais y chanter du répertoire français, bien sûr !
Si vous pouviez changer une chose dans la manière dont votre carrière s’est déroulée jusqu’ici, laquelle serait-ce ?
Rien, car, je n’ai jamais vraiment eu à faire des choix. J’ai commencé le chant très jeune dans la Maîtrise de Caen : ça a fait partie de ma vie jusqu’à mes études supérieures. Là, j’ai dû arrêter et je me suis rendu compte que ça me manquait viscéralement. J’ai tenté le concours du CNSM [Conservatoire national supérieur de musique, ndlr] sans me mettre de pression, avec la possibilité de poursuivre mes études d’ingénieur. Comme j’ai été pris, j’ai repris la voie musicale. Christian Schirm [le directeur de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris depuis 2004, ndlr] est venu voir une production du CNSM et m’a proposé de passer l’audition de l’Atelier car ils n’avaient pas trouvé de ténor lors de la grande audition annuelle. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon agent, puis tout s’est enchaîné. Bien sûr, il y a eu des passages plus difficiles, mais cela oblige à se remettre en question, ce qui est sain. Aujourd’hui, je suis très content de la manière dont les choses se passent, mais il ne faut pas trébucher. Il faut se protéger car c’est un métier fragile, qui repose sur un instrument fragile. Quand on est jeune, on n’imagine pas combien il faut les épaules solides pour construire une carrière artistique saine.
Y a-t-il un moment de votre carrière dont vous êtes particulièrement fier ?
J’ai fait un Lakmé à Saint-Etienne, qui a été un tournant dans ma carrière. C’était la première fois qu’on me proposait un opéra-comique français, et l’un des premiers grands rôles qui m’ait été confié. Il y a eu une alchimie sur cette production qui m’a marqué. J’y avais trouvé le même abandon que je peux trouver dans le Lied et la mélodie, qui constituent également un pilier de ma carrière artistique.
Pourquoi ce répertoire du Lied et de la mélodie compte-t-il tant pour vous ?
Je l’ai découvert au Conservatoire de Paris dans les classes d’Anne Le Bozec et Jeff Cohen. Cela m’était totalement inconnu. Ça a été une découverte : j’aime le fait que nous soyons responsables des choix musicaux que nous faisons, ce qui n’est pas le cas dans un opéra ou dans un oratorio. Et puis le répertoire est infini et il y a des zones totalement vierges, qui permettent de donner une nouvelle chance à des partitions magnifiques. À l’époque, on secouait un arbre, et il y avait vingt compositeurs qui tombaient : certains ont été voués aux gémonies, d’autres ont été rangés dans des cartons. Cela m’intéresse d’aller chercher les œuvres oubliées : c’est ce que nous avons fait avec Tristan Raës, avec qui j’ai fondé le Duo Contraste, dans l’album Clairières dans le ciel. Il y a des petites mélodies par De La Presle, un compositeur du début du XXème siècle, qui sont d’une grande beauté et d’une grande simplicité. Pourtant, on ne connait ni cette musique ni ce compositeur. Bien sûr, le public attend aussi que l’on chante des compositeurs plus connus. Ainsi, nous donnerons un concert autour de la Grande guerre de 1870 : comme nous avions beaucoup travaillé les compositeurs inconnus, nous avons décidé de faire un concert plus grand public. Il y aura donc du Liszt, Brahms, Duparc et Chausson : des compositeurs emblématiques du genre. Nous ferons également partie de la prochaine monographie qui sortira chez Bru Zane autour de Félicien David : nous travaillons sur les corrections du CD.
Cyrille Dubois et Tristan Raës interprètent un extrait de La belle Hélène d'Offenbach :
Quels sont les rôles que vous souhaiteriez chanter dans les cinq ans à venir ?
Je sais que Mozart fait partie de ma signature vocale : j’en ai encore quelques-uns à faire. J’irai sans doute vers Don Ottavio [dans Don Giovanni, ndlr], même si rien n’est programmé à ce stade. J’aimerais aussi chanter Tamino [dans La Flûte enchantée, d'ailleurs donnée à Bastille en même temps que Cosi fan tutte à Garnier, ndlr], mais plus tard. Il y a aussi les rôles plus lourds, comme Titus et Mithridate qui me font énormément envie, mais il faut voir si l’instrument suit. J’ai besoin de chanter Mozart : quand on est capable de chanter Mozart, on peut pratiquement tout chanter. J’expérimente aussi Rossini : j’ai découvert récemment que la légèreté de ma voix m’ouvrait ce répertoire-là. Je ferai donc une Cenerentola l’an prochain, avec Michèle Losier qui est aussi sur la production de Cosi fan tutte. J’adore le répertoire anglais, et notamment Britten : j’aimerais qu’on fasse confiance à un chanteur français pour ce répertoire. Le rôle de Quint [dans le Tour d’Ecrou, ndlr] me fait notamment envie : j’ai chanté Miles étant petit et cela permettrait de boucler la boucle. Dans le répertoire français, je rêve d’un Roméo [dans Roméo et Juliette de Gounod, ndlr] dans une petite salle. On a l’habitude d’entendre ce genre de rôle très vaillant, et j’aimerais en apporter une autre vision, plus proche de la mélodie. Finalement, la période romantique n’est pas si éloignée de Bach ou de Mozart ! J’ai également tout à découvrir dans l’opéra-comique français : le Palazzetto Bru Zane effectue un travail incroyable pour ressortir et valoriser des pièces qui n’ont pas eu leur chance. Je trouve cette démarche passionnante.
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