Irina Lungu : "J'adore le répertoire lyrique français !"
Irina Lungu, vous vous apprêtez à prendre le rôle de Corinna dans Le Voyage à Reims
Le rôle de Corinna a été écrit pour la cantatrice Giuditta Pasta. C'est un rôle d'une difficulté extrême avec de nombreuses complexités vocales, nécessitant une grande virtuosité et un phrasé impeccable. Mais c'est en même temps une oeuvre particulière, qui a une place à part dans la production de Rossini. C'est une fantaisie et une parodie de l'oeuvre rossinienne elle-même, à la musique éblouissante. La grande difficulté mais en même temps le plaisir de chanter Corinna est justement de dépasser ces difficultés. Après une saison riche et chargée, chanter le Voyage à Reims
Souhaitez-vous poursuivre votre exploration du répertoire rossinien dans les saisons à venir ?
Les rôles rossiniens exigent des voix importantes : je pourrais interpréter certains rôles, mais pas tous. Par exemple, je pense que Le Barbier de Séville n'est probablement pas fait pour moi et ma personnalité. Je pourrais en revanche chanter des operas seria : j'ai d’ailleurs déjà chanté le rôle d'Anaïde en français dans Moïse et Pharaon pour mes débuts à La Scala, sous la direction de Riccardo Muti. D’autres suivront probablement : j’aime tant ce répertoire ! J'ai également participé au Turc en Italie, que j'aime et qui n'est pas uniquement buffa : cet opéra procure des sentiments contrastés.
© DR
Vous avez eu une année chargée avec de nombreuses prises de rôles : où en êtes-vous ?
J'ai en effet effectué trois prises de rôles au premier semestre : j’ai chanté Giulietta dans les Capulet et les Montaigu à Vérone, Elvira dans Les Puritains à Modène et le rôle-titre d’Anna Bolena en Avignon. Cette période a été un véritable challenge pour moi mais je suis assez satisfaite de mon travail : certaines choses ont été très bien et d’autres sont perfectibles, mais je sais que je pourrai mieux faire dans les productions suivantes de ces œuvres.
Revenons sur votre prise du rôle-titre d’Anna Bolena de Donizetti en Avignon au mois de mai : qu’en retenez-vous ?
C'était excitant parce que c'est un opéra très compliqué : c’est probablement le rôle le plus difficile que j'aie chanté. C'est un défi du début à la fin. Dans la trilogie, j'avais déjà chanté Marie Stuart : il ne me manque plus que Roberto Devereux, mais j'ai encore du temps pour m’y atteler ! Anna Bolena est bien plus théâtral et difficile que Marie Stuart, qui est une œuvre plus lyrique. Le rôle réclame une grande agilité et une imposante puissance dramatique dans le chant. Toutes les difficultés qui peuvent être confiées à une soprano se trouvent dans cette partition, comme des trilles, des staccatos et bien d’autres complexités techniques. Le plus difficile est de garder son calme au début et de bien doser sa puissance et son effort parce que l'opéra est très long. Je m'en suis rendue compte au moment de la répétition générale : normalement à la fin de la représentation, les chanteurs sont fatigués, mais dans cet opus il faut tout donner à la fin. Heureusement, le second acte est plus adapté à ma personnalité vocale : il est donc plus facile pour moi que le premier. J’y suis sans doute également plus détendue. Le personnage est vraiment intéressant : il y a tant de couleurs, d'éléments techniques et de façons de le jouer ! Les émotions à transmettre sont si complexes que je trouve ce rôle très stimulant. Je suis très heureuse d'avoir la voix pour pouvoir le chanter : c'est un grand privilège.
Retrouvez notre compte-rendu d’Anna Bolena en Avignon
Quel est le rôle qui vous offre la plus grande satisfaction ?
Je dirais Lucia di Lammermoor, qui n'est pas si différent d'Anna Bolena. C'est également un rôle théâtral. Je ne chante pas ce rôle comme une pure colorature. Dans la dernière scène, qui est très exigeante, je peux chanter les aigus, mais j'aime apporter des accents dramatiques dans le duo avec le baryton. Je viens d’ailleurs de chanter ma deuxième Lucia à Bologne. Ma première était à Vérone il y a deux ans et demi.
Irina Lungu dans Lucia di Lammermoor à Bologne (© DR)
Et quelle sera votre prochaine prise de rôle ?
Ma prochaine grande prise de rôle-titre sera Manon en janvier à Bilbao. C'est pourquoi je travaille mon français : il y a beaucoup de dialogues parlés dans cet opéra ! C'est important de comprendre chaque mot et sa signification. J'adore le français et le répertoire lyrique français.
À quels autres rôles du répertoire français êtes-vous particulièrement attachée ?
J’aime beaucoup Les Pêcheurs de Perles, qui est le premier opéra que j'ai chanté, en russe ! J'ai aussi joué Micaela dans Carmen, Roméo et Juliette et Faust, qui est probablement l’œuvre française que je préfère. Je vais de nouveau chanter Les Pêcheurs de Perles à Bilbao, en français cette fois. À l’avenir, j'aimerais beaucoup chanter Thaïs : j'ai déjà interprété des airs et des duos de cet opus mais j'aimerais prendre le rôle dans son intégralité.
Quelles ont été les étapes les plus importantes de votre carrière ?
Je pense que l'étape la plus importante a été La Traviata à La Scala en 2007 et 2008. C'était dans la production de Liliana Cavani et c'est Lorin Maazel qui m'a auditionnée. C'était mon premier contrat pour cette œuvre. Ce succès m’a ouvert de nombreuses portes : j'ai joué au Met, à Covent Garden, et à Paris. À cause des changements de direction, je ne suis pas retournée à la Scala depuis deux ans. Avant cela, j'y étais tous les ans, participant à 10 productions et j'y ai toujours rencontré le même succès. Le public m'aime et c'est très exaltant parce que je sais que La Scala n'est pas un théâtre facile. J'y ai commencé ma carrière parce que j'étais élève de l'Académie, et j'ai eu mes premiers rôles à cette époque. J'y ai fait de nombreuses prises de rôles : La Traviata, des opéras russes, Rossini, L’Élixir d'Amour, Marie Stuart, Faust, Falstaff. Cela m'a donné beaucoup de confiance en moi.
Irina Lungu dans La Traviata à La Scala de Milan (© Marco Brescia / Teatro alla Scala)
Vous avez fait vos débuts à Paris l'année dernière avec Rigoletto et La Traviata, quels souvenirs gardez-vous de ces productions ?
Rigoletto était une nouvelle production : le processus a donc été long et difficile. Nous avons beaucoup répété. J'ai découvert mon amour pour l’œuvre en 2013 à Aix-en-Provence. Au début, je n'aimais pas le personnage de Gilda. Je pensais être trop théâtrale et trop grande, je ne représente pas assez l'innocence. Mais Robert Carsen m'a prouvé le contraire et m'a montré comment le personnage pouvait être différent, et moi également. Nous avons beaucoup répété, discuté et lu Le Roi s'amuse de Victor Hugo, dont est tiré le livret. C'était une expérience personnellement très enrichissante. À la fin, j'ai connu un énorme succès avec ce rôle. Cet opéra est tellement émouvant, touchant, à chaque phrase ! Je suis donc arrivée à Paris en pensant à tout cela, confiante dans ma capacité à faire une bonne Gilda. La production de Claus Guth à Paris était surréaliste et a connu un grand succès. Puis j'ai fait deux remplacements au pied levé dans La Traviata avec Domingo, et c'était génial. J’ai même été rappelée pour participer à la prochaine Traviata pour 2019.
En repensant à votre carrière, quelles sont les productions dont vous êtes la plus fière ?
Je suis très fière de Rigoletto à Aix-en-Provence et de La Traviata de Calvani à La Scala. J'ai également fait une très bonne production de Roméo et Juliette en Corée mis en scène par Elijah Moshinsky en 2014, et La Traviata à Vienne par Deborah Warner. Ce sont les productions dont je me souviens le plus.
© DR
Comment préparez-vous une nouvelle production d’une œuvre que vous avez déjà chantée ? Est-ce que vous retravaillez la partition ?
Pour La Traviata je n'ai vraiment plus besoin des partitions, mais pour d'autres productions c'est le cas, parce que j'oublie parfois des détails et c'est toujours bien de se rafraîchir la mémoire. Je veux toujours travailler avec de nouveaux metteurs en scène. Je ne veux pas jouer la même Violetta, ce serait bien trop ennuyeux : je l'ai jouée 150 fois. Je veux découvrir de nouvelles choses. Il y a deux ans, je l'ai jouée à Madrid sous la direction de Renato Palumbo. Même s'il a dirigé cette œuvre plus de 200 fois, il a pris du temps pour moi en répétition. J'ai découvert une multitude de choses que je ne connaissais pas, que je n’avais pas remarquées, que je n’avais pas essayées ! C'est tellement stimulant ! Je cherche toujours ce genre de collaboration. Je veux que les chefs et les metteurs en scène m'apprennent quelque chose. J'ai toujours aimé cette approche.
Quelles sont les productions de la saison prochaine que vous voudriez mettre en avant ?
Je pense à ma prise de rôle de Manon à Bilbao, et à la nouvelle production de Lucia di Lammermoor à Oslo au mois de mars. Je retournerai aussi à Vienne avec Don Giovanni, La Traviata et Don Pasquale. Je suis très heureuse parce que Vienne est l'une des villes que je préfère.