Raymond Duffaut : « Une vie de combat »
Raymond Duffaut, vous présidez le Centre français de promotion lyrique (CFPL) depuis 1996 : quelle est cette institution ?
Il s'agit d’une institution qui regroupe l'ensemble des directeurs de maisons d'opéra françaises et parfois étrangères (notamment belges et suisses). Il a pour objectif essentiel d'aider à la découverte, à l'insertion et à la promotion de jeunes chanteurs. Cela se traduit chaque année par l'organisation d'auditions. Nous présentons les candidats que nous retenons au milieu professionnel. Les grandes étapes ont été l’organisation des trois premières éditions du Concours Voix Nouvelles en 1998, 2002 et 2008, qui ont permis de découvrir un certain nombre d'artistes qui ont aujourd'hui de très grandes carrières, comme Natalie Dessay, Karine Deshayes, Stéphane Degout, Anne-Catherine Gillet, Nathalie Manfrino ou encore Florian Laconi.
Natalie Dessay (© Simon Fowler)
Pourquoi ce concours a-t-il disparu pendant les dix dernières années ?
Nous avons souhaité faire évoluer le concours et lui donner la forme de coproductions d'opéras réunissant le plus grand nombre possible de maisons d'opéra. Nous gardions le principe du concours, qui est la recherche de nouvelles voix. C'est ainsi que nous avons fait tourner pendant deux ans la nouvelle production du Voyage à Reims de Rossini. C'était une production importante parce qu'il y avait deux distributions, soit 36 jeunes chanteurs au total, qui ont pu chanter sur les principales scènes françaises pendant deux années et une soixantaine de représentations. Cela leur a donné la possibilité de se faire entendre par l'ensemble des professionnels. Dans ce même contexte, nous avons fait tourner une œuvre un peu oubliée du répertoire du XXe siècle, Les Caprices de Marianne de Sauguet, qui était coproduit par quinze maisons d'opéra : Cyrille Dubois, qui fait aujourd'hui une carrière importante, faisait partie de ce projet.
Cyrille Dubois (© DR)
Cette année et l'année prochaine, nous avons porté nos efforts sur une création mondiale qui est L'Ombre de Venceslao de Martin Matalon dans la mise en scène de Lavelli [lire ici le compte-rendu d’Ôlyrix]. Elle a démarré à Rennes au mois d'octobre, a fait son premier tour de France et reprendra l'année prochaine, car nous avons neuf maisons coproductrices, ce qui est bien pour une création. Le spectacle va même tourner en Amérique du sud, grâce à Frédéric Chambert, l’ancien Directeur du Capitole de Toulouse.
Vous avez décidé de revenir au format d’un concours : à quoi ressemblera-t-il ?
Avec nos partenaires, la Fondation Orange et la Caisse des Dépôts, nous avons en effet décidé de revenir au concept du Concours Voix Nouvelles. Une nouvelle édition aura donc lieu à partir de septembre 2017. L’originalité de ce concours, par rapport à ceux qui sont hébergés dans des maisons, est d'aller chercher les voix où elles se trouvent. De plus, il est organisé en lien avec l'ensemble des maisons d'opéra françaises, ainsi que des maisons suisses, belges et canadiennes. Le but est de mailler au maximum le territoire hexagonal. Les inscriptions seront clôturées le 30 juin sur le site du CFPL. Nous ferons ensuite des essais éliminatoires dans toutes les régions lyriques, puis une finale régionale dans les principales maisons d'opéra qui accompagnent le projet. Ces premières étapes se dérouleront entre septembre et décembre 2017. Ensuite, il y aura une demi-finale à l'Opéra de Massy les 25 et 26 janvier 2018, puis une finale à l'Opéra Comique le 10 février 2018 avec le concours de l'Orchestre de Cologne. Les six lauréats seront choisis à cette occasion : ils participeront à une série de récitals à partir du 24 septembre 2018 au TCE et jusqu’à mars 2019. Cette année, France 3 a décidé de retransmettre l'ensemble des épreuves du concours à partir des finales régionales sur internet et ainsi de créer une plate-forme numérique qui permettra de suivre l'ensemble du projet, ce qui nous amènera une nouvelle visibilité.
Vous qui avez été Directeur artistique de maisons d’opéra durant tant d’années, quelle importance accordez-vous aux prix gagnés dans les concours au moment de distribuer un rôle ?
J'ai très souvent fait appel à ceux qui ont été découverts au Concours Voix Nouvelles. Il est évident que nous donnons l'opportunité à ces jeunes de chanter des rôles plus ou moins importants, selon leur niveau. Il ne faut pas les exposer dangereusement alors qu'ils sont en tout début de carrière. Cela fait aussi partie de ce que doit être l'action d'un directeur d'opéra. C'est un devoir important car ce métier devient de plus en plus exigeant.
En quoi est-il plus exigeant qu’auparavant ?
La concurrence internationale se fait de plus en plus agressive : nous le voyons lors des concours, il y a énormément de chanteurs qui nous viennent de l'est et de l'extrême orient. Nous voyons beaucoup de Coréens, de nombreux Chinois, avec de très belles qualités. L'année dernière, j'ai participé au jury du concours de Toulouse, et à la finale, il ne restait que des Coréens de très bon niveau. Par rapport à cette concurrence, et aux difficultés financières auxquelles se trouvent confrontées les maisons d'opéra, pas seulement en France, d’ailleurs, il faut que nos jeunes chanteurs soient de plus en plus performants. Quand j'ai débuté dans le métier, la voix était une condition suffisante. Aujourd'hui, ce n’est plus le cas : ils doivent avoir le physique de leur personnage et la dramaturgie des rôles qu'ils interprètent. J'ai par exemple beaucoup travaillé avec Montserrat Caballé à Orange ou à Avignon. Elle avait des qualités vocales immenses et des pianissimi exceptionnels, qu'on a rarement entendus depuis. Mais je pense qu'aujourd'hui il lui serait impossible de faire la même carrière.
Quel objectif vous fixez-vous avec ce concours ?
Aider à la découverte et à l'insertion de nouveaux chanteurs, en espérant que le cru sera aussi favorable que lors des éditions précédentes. Ce qui me fait plaisir, c'est que toutes les maisons d'opéra qui se sont associées au concours aient d'ores-et-déjà accepté d'accueillir le concert des lauréats. L'Opéra de Lille a même prévu de le faire tourner sur la région Nord-Pas-de-Calais.
Raymond Duffaut
Vous ferez ce vendredi 16 juin vos adieux à l'Opéra d'Avignon que vous dirigiez depuis 1974 : à quoi la soirée de vendredi ressemblera-t-elle ?
Je ne peux pas vous le dire, puisque son contenu ne m'a pas été dévoilé ! Depuis ce lundi et jusqu'à vendredi, je suis interdit d'opéra ! Je connais évidemment le nom des chanteurs qui y participeront [il y aura plus de 40 artistes invités, dont Karine Deshayes, Natalie Dessay, Julien Dran, Alexandre Duhamel, Julie Fuchs, Ermonela Jaho, Florian Laconi, Zuzana Markova, Inva Mula, Armando Noguera, Wojtek Smilek, Marie-Ange Todorovitch, Béatrice Uria-Monzon ou encore Seng-Youn Ko, ndlr] mais je ne sais pas quel en sera le contenu. Ce sera une surprise pour moi comme pour le public.
Comment cette soirée a-t-elle été organisée ?
Ce sont les chanteurs qui ont voulu marquer le coup en apprenant mon départ. Beaucoup voulaient me remercier d'avoir lancé leur carrière. Nous avons arrêté une date en fin de saison pour qu'un maximum d'artistes puissent venir. Malheureusement, Patrizia Ciofi ne pourra pas être là car elle est en répétition à Lyon pour Viva la Mamma. Au départ, elle pensait pouvoir venir mais son planning a été modifié. A l’issue du concert, l'Opéra fermera ses portes pour deux ans et demi de rénovations. En attendant, une très belle structure éphémère en bois sera construite près de la gare TGV, avec près de 850 places, en attendant de retrouver un opéra magnifiquement rénové.
Qu'est-ce que vous vous dites quand vous voyez un si grand nombre d'artistes qui viennent vous rendre hommage ?
Pour moi, c'est beaucoup d'émotions. La fidélité qu'ils me manifestent est extrêmement touchante. A la fin de notre dernière représentation de Faust dimanche dernier [découvrez-en notre compte-rendu], l'ensemble du personnel artistique et technique était sur scène et m'a adressé des propos extrêmement touchants et chaleureux. Après 43 ans à Avignon, ils auraient pu avoir envie de mettre quelqu'un d'autre à ma place, de voir une nouvelle tête. Mais non, ils ont continué de me témoigner leur amitié et leur fidélité, ce qui fait chaud au cœur.
Le dernier Faust de la carrière de Duffaut à la direction d'Avignon (© Studio Delestrade)
Au moment de quitter vos fonctions, quel regard portez-vous sur toutes ces années ?
Comme dans toute maison, en 43 ans, tout n'a pas été un long fleuve tranquille, notamment sur le plan des relations avec les institutions dont la maison dépend. C'est une vie de combat : quand il y a des problèmes financiers, le poids que représente une maison d'opéra dans une collectivité est considérable. Il a fallu se battre au jour le jour pour que la maison continue à vivre, et à bien vivre, avec les forces artistiques qui sont les siennes. Lorsque j'ai vu mon premier opéra à Avignon en 1949, c'était Faust. C'est pour cela que j'ai terminé avec ce même opus. A l'époque, il y avait un orchestre, un chœur et un ballet permanents. Ce dont je suis le plus fier aujourd'hui, c'est d'avoir pu les conserver. Ce que je souhaite dans les années qui viennent, c'est que l'on puisse en dire autant. Les problèmes financiers mettent en danger la pérennité du ballet, qui attire moins. Nous sommes l'une des seules villes à avoir maintenu un ballet dans une maison d'opéra.
Nous avons aussi conquis un nouveau public : nous avons ouvert la programmation à des jeunes, notamment pour Faust, où nous avons monté un projet pédagogique avec les établissements scolaires de la ville et du département. Les jeunes ont pu échanger avec les artistes et monter sur scène pour jouer et chanter Faust entre deux représentations. Je me souviens d'une fille de 15 ans qui incarnait Marguerite pour la première fois et rencontrait le monde de l'opéra : ça a été une découverte pour tout le monde. Elle avait une très jolie voix, avec toute la tessiture exigée par le rôle, sans aucune coupure, bougeant bien et jouant bien, appréhendant le personnage. C'est quelque chose d'extraordinaire et la meilleure des récompenses.
Pouvez-vous nous présenter votre successeur ?
Pierre Guiral a la particularité d'être lui-même chanteur. Il est baryton-basse et a été professeur de chant au conservatoire. C’est d’ailleurs lui qui a révélé Julie Fuchs qui était son élève. Il a ensuite pris la direction du conservatoire et en a fait un Etablissement à rayonnement régional. On lui a proposé la direction de la culture dans la collectivité, ce qu'il a fait pendant quelques années. Il est ensuite devenu Directeur de l'Opéra d'Avignon. Au début, il s'occupait surtout du côté administratif et financier puisque je me chargeais du côté artistique. Il prend maintenant la Direction générale de la maison : c’est lui qui a préparé la prochaine saison de l’Opéra.
Parmi les jeunes chanteurs qui vont se produire à Avignon l’an prochain (la prochaine saison vient d’être annoncée), quels sont ceux que vous nous conseillez de suivre plus attentivement ?
Dans l'Orphée de Gluck qui ouvrira la saison, je pense à Julie Robard-Gendre, à qui j'avais donné sa première Carmen à Rennes. Dans L'Enlèvement au Sérail, les artistes sont issus du concours organisé à Clermont-Ferrand en février dernier pour lequel j'étais jury. Ces jeunes gens seront à suivre, surtout Bastian Thomas Kohl qui jouera le rôle d'Osmin, qui n'est pas du tout évident. Il est rare de trouver des jeunes basses ayant assez de maturité. Dans les Dialogues des Carmélites, il y aura Ludivine Gombert, que j'ai beaucoup suivie depuis son entrée à l'Opéra d'Avignon. Je lui ai donné sa première Micaëla, sa première Mimi dans La Bohème à Reims, sa première Desdemone dans Otello à Massy. Elle fera une très belle Blanche.
Julie Robard-Gendre dans Carmen à Rennes (© Laurent Guizard)
Quel rôle comptez-vous avoir à l’Opéra d’Avignon dans les prochaines années ?
Celui de spectateur, sans aucune responsabilité. J'irai voir quantité de spectacles tout au long de l'année sur Avignon, ce que je n'avais pas forcément la possibilité de faire en tant que directeur car je m’astreignais à assister à un maximum de répétitions et à toutes les représentations : il me semble que c'est un rôle important du directeur. Cela permet de participer à la cohésion de la maison et du spectacle. Puis je continuerai à m'occuper du CFPL et de Musique baroque en Avignon. On m'a proposé la présidence des Saisons de la Voix de Gordes en Lubéron, au mois de janvier : cet événement consiste à organiser un certain nombre de concerts de jeunes chanteurs qui part d'un concours international assez original autour du Lied et de la mélodie.
Vous avez pris la décision de quitter la direction des Chorégies l’an dernier, pourquoi ?
Après la démission de Thierry Mariani, la présidence revenait à titre provisoire à la ville d'Orange, le temps qu'un conseil d'administration soit convoqué et nomme un nouveau président. Ça n'a pas été le cas, et il était hors de question pour moi sur le plan éthique de travailler avec l'extrême droite. Dans la mesure où les institutions tardaient à faire bouger les choses, j'ai préféré présenter ma démission, je ne pouvais pas faire autrement. Ce qui me donne satisfaction, c'est que mon départ a permis à la ministre de la culture de l'époque, Audrey Azoulay, et au Président de la région, qui était Christian Estrosi, de réagir et de nommer un président.
Quel sera le principal défi que votre successeur, Jean-Louis Grinda, devra affronter au cours de son mandat ?
Les Chorégies, c'est un lieu magique mais extrêmement contraignant et difficile : un défi permanent. L'équilibre financier sur lequel le Festival repose est particulièrement fragile. Lors de ma dernière année à sa direction, nous étions arrivés à un taux d'autofinancement de 87% ! Il a fait ses débuts à Avignon à mes côtés, en tant que secrétaire artistique, puis a volé de ses propres ailes avec le professionnalisme qu’on lui connait. Son défi sera de maintenir la vocation artistique internationale des Chorégies, et de faire en sorte que l'équilibre financier soit moins fragile que ce qu'il peut être aujourd'hui, ce qui sera loin d'être évident.
Jean-Louis Grinda (© DR)
Que pouvez-vous nous dire de la programmation de cette édition 2017, qui est en partie la vôtre ?
J'avais prévu Aïda, Rigoletto et la IXe Symphonie de Beethoven sous la direction de Myung Whun Chung. Jean-Louis a rajouté un concert avec Bryn Terfel, que je n'ai malheureusement jamais pu avoir à Orange, mais avec qui il a souvent collaboré à Monte-Carlo. Il a également ajouté une projection filmée du Fantôme de l'Opéra avec une improvisation au piano de Jean-François Zygel. Il s'agit essentiellement de ma programmation, mais celle de 2018 sera entièrement la sienne.
Quel bilan artistique aimeriez-vous pouvoir faire de cette édition ?
Je souhaite que les spectacles soient aussi réussis que possible et qu'ils puissent rester dans la mémoire des Chorégies : c'est le but que nous recherchons. Nous avons une obligation de résultat à chaque spectacle. Il faut toujours se remettre en question. Dans le monde du spectacle vivant, nous ne pouvons pas être satisfaits tant que la dernière note n'a pas été chantée, puisque tout peut arriver à tout moment.
Quel bilan faites-vous des 35 ans passés à la tête des Chorégies ?
Je pense les avoir confortées. Quand j'en ai pris la direction, elles étaient dans une situation financière extrêmement préoccupante et n'étaient pas du tout organisées sur le plan administratif. A l'époque, on ne jouait qu'une représentation d'opéra. Au fil des années, nous avons installé deux représentations, parfois trois sur des opus tels que Carmen. J'ai également essayé de professionnaliser l'organisation artistique, technique et administrative du Festival, ce qui n'est jamais commode, surtout lorsqu'il s'agit d'un événement ponctuel dans l'année. Il dure entre six et sept semaines avec les répétitions, et il n'y a qu'une toute petite équipe permanente de cinq personnes. Tout d'un coup, il faut assurer la gestion d'un millier de personnes, entre les techniciens, les musiciens, les choristes, les danseurs et les figurants. C'est chaque année un immense défi de reconstruction.
Quelles sont vos plus grandes fiertés ?
Nous avons fait un Faust avec Michel Plasson et Nicolas Joël qui avait remporté le Grand Prix de la Critique, et qui a été un très beau moment. Je me souviens aussi du Don Carlo de 1984 avec Caballé, Bumbry, Bruson, Aragall et Estes, qui fait partie de la mémoire des Chorégies. Un Paillasse et Cavalleria, superbement dirigé par George Prêtre avec Alagna et Uria-Monzon. L’intermezzo de Cavelleria, qui ne dure que trois minutes et n'est qu'un instant dans une programmation, reste un moment d'intensité musicale absolument magique et exceptionnel. La fidélité d'Alagna aussi, pendant tellement d'années aux Chorégies, a indiscutablement marqué de nombreux rôles, qui ont été des défis pour lui, tels qu'Otello et Turandot. J'ai également eu beaucoup de plaisir à donner ces Carmen, avec tous les plus grands interprètes de Don José : Carreras, Alagna ou encore Kaufmann ! L'année dernière, La Traviata a permis de faire revenir Placido Domingo dans le rôle de Germont après 40 ans d’absence. Il avait chanté à l'époque le rôle-titre de Samson et Dalila aux côtés d'Elena Obraztsova. Il y a également tout le parcours que j'ai effectué avec Michel Plasson, qui a magnifiquement dirigé des quantités d’œuvres à Orange.
Roberto Alagna en répétition aux Chorégies (© Philippe Gromelle)
Que feriez-vous différemment ?
J'ai fait certaines erreurs, comme en 1988 où j'ai monté le Ring de Wagner, sous la pression de Marek Janowski, qui était à l'époque à la tête du Philharmonique de Radio France et un magnifique chef wagnérien. Il m'avait persuadé de faire ce Ring qu'il avait donné en version concertante à Paris. Je crois que c'était une fausse bonne idée. A Orange, on ne peut pas jouer les œuvres à tour de rôle tous les trois jours comme le font les théâtres traditionnels car des aménagements sont nécessaires d'une représentation à l'autre, même si nous avions un dispositif scénique unique. Les spectateurs étaient obligés de revenir quatre samedis de suite pour voir l’ensemble du Ring.
Que pensez-vous du choix de Jean-Louis Grinda de donner Méphistophélès de Boito ?
J'y ai souvent pensé parce qu'il s'agit d'un très bel ouvrage, mais je n'ai jamais osé le programmer de peur que la fréquentation ne suive pas. Je lui souhaite qu'il n'en soit pas ainsi, j'espère avoir eu tort d'hésiter.
Que pensez-vous de cette volonté d'aller chercher des œuvres moins connues ?
Sur le plan artistique, c'est formidable, mais c'est un risque pour la fréquentation. Malheureusement à Orange, nous avons un lieu de 8300 places à remplir, ce qui fait plus de 16000 spectateurs sur deux représentations. Lorsque nous sortons des dix titres les plus populaires et les plus grand public, on prend le risque d’une fréquentation décevante. Ça a été le cas lorsque j'ai donné un Elektra, qui fait pourtant partie artistiquement de l'histoire des Chorégies, avec Janowski, Gwyneth Jones et Léonie Rysanek dans une mise en scène de Jean-Claude Auvray. Il s'agissait d'un événement exceptionnel sur le plan musical et vocal, mais nous n'avions pas réussi à remplir l'unique représentation que nous avions donnée. Heureusement que derrière, il y avait deux représentations d’Aïda qui avaient fait le plein et qui nous avaient permis de maintenir l'équilibre financier.
Continuerez-vous à exercer votre rôle de conseiller artistique à l'Opéra de Massy ?
Je pense arrêter progressivement : depuis quelques années, Massy a un directeur de production qui a beaucoup de qualités, qui est Xavier Adenot et qui sera à même de proposer lui-même une très belle programmation artistique dans les années qui viennent. Il m'a encore demandé de monter un Rigoletto pour la saison 18/19, mais je pense que les choses vont s'effacer progressivement.
Un dernier mot ?
Il faut toujours se battre contre les institutionnels et les responsables, pour maintenir l'outil de travail. J'ai eu, il y a peu, une discussion avec le Président du Grand Avignon, qui est maintenant responsable de l'Opéra. D'un côté, ils ont pris la décision formidable, presque étonnante, de voter à l'unanimité 20 millions d'euros de travaux pour rénover complètement l'Opéra. D'un autre côté, ils ont décidé d'une diminution progressive du budget de fonctionnement de 300 000 euros par an sur les trois années à venir, sur un budget total de 8 millions. C'est totalement incohérent ! S'ils ne touchent pas aux frais structurels, ils risquent d'hypothéquer gravement la programmation artistique. C'est le combat incessant que nous devons mener.